Niches de désordre de toute nature, les autorités de la ville semblent pourtant ne pas accorder de la priorité à les assainir mais multiplient les stratagèmes pour les contrôler, et s’y nourrir

 

Douala est l’une des villes du Cameroun, sinon la seule qui compte le plus grand nombre de marchés au kilomètre carré. Spontanées, privés, publics, on n’en compte pas, et ces espaces sont également ceux qui attirent le plus de monde, du commerce formel ou informel. Combien en existent-ils au total dans la ville, difficile de le dire même par les services les plus spécialisés. Toujours est-il qu’il est facile de les reconnaître, par une caractéristique qui fait désormais partie de leurs Adn, le désordre pour faire simple.

Anarchie

Désordre dans l’occupation de l’espace. Au niveau des marchés de la ville de Douala, il n’existe plus de distinction entre la chaussée et le comptoir. La chaussée est d’ailleurs le lieu privilégié pour l’exposition des marchandises, et même ceux qui disposent d’un comptoir pensent que c’est en posant certains articles à même la chaussée qu’ils deviennent plus attirants. Vivres frais, effets vestimentaires, chaussures  et autres sont versés au sol. D’autres marchandises qui ne peuvent être étalées au sol sont contenues dans des brouettes, des portes-tout, des cartons ou des seaux, mais bien posés sur la chaussée. Les trottoirs sont complètement noyés par d’autres occupants de fortune, des tables en matériaux provisoires, des kiosques ou de simples sacs étalés au sol, tout est bon pour l’occupation  anarchique des lieux. A ces installations, les conducteurs de motos viennent ajouter du mouvement. Mobiles ou sur place, ils participent à l’occupation « rationnelle » de l’espace, ou de leur espace pour dire les choses telles qu’elles sont. Ils y sont installés en maître, et leur simple regard tient à distance tout piéton qui oserait se frayer du chemin parmi eux, regard plus doux quand il s’agit d’un client. La circulation est alors une gageure à l’approche des marchés de la ville de Douala,  où le ralentissement des véhicules a donné davantage d’idées aux voleurs à la tire et autres malfaiteurs. Les sacs et les téléphones portables sont arrachés par des guetteurs qui se fondent avec aisance dans une foule compacte.

A ce désordre dans l’occupation il faut ajouter celui de l’hygiène. L’une des identités remarquables des marchés de la ville de Douala, c’est la présence des immondices d’ordures, suintantes et puantes, à côté des bacs à ordures ou pas. La production abondante des déchets s’ajoute à la difficulté d’écoulement des eaux dans les caniveaux, confondus en poubelle. Même une fois à l’intérieur du marché on n’est pas épargné du désordre. Des kiosques sont installés sur les allées destinées à aérer la circulation, les boutiques ne respectent aucune règle dans l’occupation des espaces et sont parfois installées les unes au-dessus des autres, ou mieux,  les unes dans les autres. Tout est à l’étroit, on étouffe, c’est à ce demander comment les commerçants qui y passent toute la journée arrivent à respirer. Les installations électriques renvoient elles aussi des images qui n’inspirent aucune confiance.

Stagnation

Cette situation de désordre à l’approche et dans les marchés de la capitale économique dure depuis des années, et s’amplifie d’années en années, résiste d’une administration à une autre. Pendant que la situation des gestionnaires de la ville s’améliore au fil du temps, celle de la ville se désagrège. Le changement à la tête de la ville charrie chaque fois de nouveaux espoirs au sein de la population, des espoirs qui se transforment rapidement en illusion le temps que les nouveaux s’installent et se rendent compte qu’ils sont désormais détenteurs du pouvoir.  Pourtant, les marchés n’offrent pas seulement des vitrines pour l’exposition des marchandises, ils sont les premières vitrines où s’exposent une ville et un pays. Tout nouvel arrivant dans une ville a d’abord envie de visiter un marché, un espace marchand, où il a la chance d’entrer en contact avec les différentes cultures et tâter du doigt la vie du pays. Mais en 2020, quelle image offre les marchés de la ville de Douala ? Les autorités de la ville peuvent-elles recevoir un hôte de marque et proposer de lui faire visiter le marché central de la ville de Douala ou le marché de Ndokoti et l’y amener dans une voiture banalisée sans barrer la ville de bout en bout ? Quelle ville se prépare à accueillir le championnat d’Afrique des Nations en janvier 2021, dans 3 mois exactement, et de manière rétrospective, quelle ville de Douala aurait accueilli il y a un an la Coupe d’Afrique des nations, si jamais il n’y avait pas eu de « glissement »

Ring de batailles

Chose curieuse, c’est dans ces marchés au visage piteux, dans ce désordre indescriptible, que se livrent les batailles les plus féroces. Entre commerçants et commerçants, entre commerçants et les services des impôts ou de la douane, et surtout entre commerçants et les mairies, l’enjeu étant le contrôle des recettes officielles et officieuses. La preuve, face à tous ces problèmes qui nécessitent des actions énergiques, la mairie de ville de Douala, sous l’impulsion de son nouvel exécutif, a choisi de donner la priorité aux élections dans les marchés, qui semblent être un autre front de conflit ouvert. Comme pour toutes les élections en effet, l’annonce des opérations électorales imminentes a fait naître  de multiples contentieux et contestations au sujet de questions diverses : Qui doit organiser le scrutin, quels sont les postes à pourvoir, quel est le cahier de charge des élus, qui est électeur, qui peut être candidat, quel est le mode d’investiture…la recherche de la réponse à toutes ces questions conduit fatalement dans un labyrinthe, dans lequel la mairie de la ville semble s’engouffrer lentement mais sûrement. Avec autant de défis d’hygiène et de désordre  qui paraissent plus urgents, la question opportune est celle de savoir si les élections dans les marchés étaient la première chose à laquelle il fallait penser, surtout quand l’on sait que le premier réflexe humain, est de nettoyer une maison avant de l’occuper.

A suivre

Roland TSAPI

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