Il n’avait pas suffi pour les occidentaux de venir sur les côtes africaines acheter des noirs pour en faire des esclaves dans le nouveau continent, il a fallu aussi qu’il y ait des règles spécifiques appliquées à eux

Bien avant la charte de l’impérialisme dont nous parlions dans le précédent éditorial, le continent noir avait déjà fait l’objet d’autres lois de la part des pays occidentaux, des lois qui ne visaient pas autre chose que de le maintenir dans la servitude. Et pour bien comprendre ce qui se passe sur le continent africain aujourd’hui, un rapide coup d’œil historique et sommaire nous ramène à la mémoire ce dessin que le professeur  d’histoire traçait au collège ou au lycée pour illustrer ce qui a été appelé le commerce triangulaire. Il désignait le tracé que suivaient  les Européens  pour venir sur les côtes africaines acheter des hommes, qu’ils amenaient comme esclaves dans les territoires d’Amérique nouvellement découverts pour travailler dans les champs de canne à sucre. Ce sucre était par la suite ramené en Europe pour la consommation, et tout le trajet donne la forme d’un triangle sur la carte.

La nécessité de codifier l’esclavage

En 1685, le marquis de Seignelay en France,  achève les recueils que son père, le premier ministre Colbert avait préparé avant lui, et ils furent promulgués au mois de mars par le roi Louis XIV. Ces  recueils  regroupaient  autour de l'ordonnance même, les lois et  les décisions royales, tout un arsenal juridique  élaboré par le pouvoir royal pour les colonies, et relatives au gouvernement, à l'administration et à la condition des esclaves des pays du domaine colonial de la France entre 1685 et la fin de l'Ancien Régime. Ces textes sont contenus de ce qui est appelé le Code noir.

La personnalité effacée       

En 60 articles, l’esclave en trouve pour son compte, en commençant par l’effacement de ses croyances emportés d’Afrique. L’article 2 dit: « Tous les esclaves qui seront dans nos îles seront baptisés et instruits dans la religion catholique, apostolique et romaine. Enjoignons aux habitants qui achètent des nègres nouvellement arrivés d'en avertir dans huitaine au plus tard les gouverneurs et intendant desdites îles, à peine d'amende arbitraire, lesquels donneront les ordres nécessaires pour les faire instruire et baptiser dans le temps convenable

Article 3 : Interdisons tout exercice public d'autre religion que la religion catholique, apostolique et romaine. Voulons que les contrevenants soient punis comme rebelles et désobéissants à nos commandements. Défendons toutes assemblées pour cet effet, lesquelles nous déclarons conventicules, illicites et séditieuses, sujettes à la même peine qui aura lieu même contre les maîtres qui lui permettront et souffriront à l'égard de leurs esclaves. » La première mesure d’asservissement des esclaves noirs achetés sur les côtes de l’Afrique était donc de les couper complètement de leurs racines, en leur imposant une autre religion que celle de leurs ancêtres. L’obligation de les convertir à la religion catholique visait aussi et surtout à leur donner un nom, appelé nom de baptême, ils devaient oublier celui qu’ils portaient en Afrique.

Le Code noir interdisait en effet aux esclaves d’avoir un nom,  de posséder un bien, quel que soit la nature. Article 28 « Déclarons les esclaves ne pouvoir rien avoir qui ne soit à leurs maîtres; et tout ce qui leur vient par industrie, ou par la libéralité d'autres personnes, ou autrement, à quelque titre que ce soit, être acquis en pleine propriété à leurs maîtres, sans que les enfants des esclaves, leurs pères et mères, leurs parents et tous autres y puissent rien prétendre par successions, dispositions entre vifs ou à cause de mort; lesquelles dispositions nous déclarons nulles, ensemble toutes les promesses et obligations qu'ils auraient faites, comme étant faites par gens incapables de disposer et contracter de leur chef.

Un image montrant des esclaves à Bimbia, une côte camerounaise de la région du Sud Ouest

Traités moins que des meubles

De plus, en dehors des taches purement mécaniques, il était refusé à l’esclave noir toute éventualité d’avoir une quelconque intelligence, ils ne pouvaient occuper aucune fonction publique. En conséquence, il lui était  interdit de réfléchir, et si jamais le maître se trouvait dans l’obligation de les laisser parler, ce qu’ils diraient ne pouvait être d’aucune valeur. Article 30 : « Ne pourront les esclaves être pourvus d'office ni de commission ayant quelque fonction publique, ni être constitués agents par autres que leurs maîtres pour gérer et administrer aucun négoce, ni être arbitres, experts ou témoins, tant en matière civile que criminelle: et en cas qu'ils soient ouïs en témoignage, leur déposition ne servira que de mémoire pour aider les juges à s'éclairer d'ailleurs, sans qu'on en puisse tire aucune présomption, ni conjoncture, ni adminicule de preuve. » Et si par mégarde il leur passait par la tête de vouloir s’enfuir, le Code prévoyait des sanctions aussi lourdes. Article 38 : « L'esclave fugitif qui aura été en fuite pendant un mois, à compter du jour que son maître l'aura dénoncé en justice, aura les oreilles coupées et sera marqué d'une fleur de lis une épaule; s'il récidive un autre mois pareillement du jour de la dénonciation, il aura le jarret coupé, et il sera marqué d'une fleur de lys sur l'autre épaule; et, la troisième fois, il sera puni de mort. » En tout état de cause, l’esclave, ou plutôt le noir était considéré tout juste comme un robot donc les muscles seules devaient servir à labourer les champs ou à d’autres travaux domestiques. A ce titre ils étaient considérés comme des biens personnels des propriétaires, au même titre qu’un tracteur ou une brouette.

Article 44 « Déclarons les esclaves être meubles et comme tels entrer dans la communauté, n'avoir point de suite par hypothèque, se partager également entre les cohéritiers, sans préciput et droit d'aînesse, n'être sujets au douaire coutumier, au retrait féodal et lignager, aux droits féodaux et seigneuriaux, aux formalités des décrets, ni au retranchement des quatre quints, en cas de disposition à cause de mort et testamentaire.

Article 47 : « Ne pourront être saisis et vendus séparément le mari, la femme et leurs enfants impubères, s'ils sont tous sous la puissance d'un même maître; déclarons nulles les saisies et ventes séparées qui en seront faites; ce que nous voulons avoir lieu dans les aliénations volontaires, sous peine, contre ceux qui feront les aliénations, d'être privés de celui ou de ceux qu'ils auront gardés, qui seront adjugés aux acquéreurs, sans qu'ils soient tenus de faire aucun supplément de prix. »

Ce code resta en vigueur, et fut amendé au cours des années en fonctions de l’évolution de la condition socio-économique et juridique des esclaves dans les colonies du Royaume de France, jusqu’au décret de l’abolition de l’esclavage le 4 février 1794. Mais il n’était pas question d’abolir l’esclavage et rester les mains croisées. Il fallait aller directement annexer le continent d’où venaient ces nègres moins que rien. S’ils n’ont pas le droit d’avoir un nom, combien de fois posséder une terre. Avant  d’adopter le décret d’abolition, les Occidentaux prirent donc soin d’élaborer la charte de l’impérialisme, document guide de la partition de l’Afrique, qui sera discutée en profondeur au cours de la Conférence de Berlin, au pendant laquelle le Continent tel un gâteau d’anniversaire,  sera partagé entre les convives.  

A suivre

Roland TSAPI

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